Salle machine d'un IBM/360-SO.

Histoire des ordinateurs

L’ordinateur a été conçu dans le prolongement accru d’un besoin de calcul. Nous allons ci-dessous, répartir son histoire en groupes suivants :

  • les premières techniques de calcul;
  • l’horlogerie, les machines mécaniques à calculer;
  • les machines mécaniques automatiques;
  • les machines électroniques et enfin le premier ordinateur.

Les premières techniques de calcul

1. Les premières tablettes numériques

Pour effectuer des opérations, les anciens utilisaient quatre types de méthodes. :

a) Les doigts et les cailloux (4000 AV JC) :

Ils comptaient sur leurs doigts, de façon beaucoup plus élaborée que nous ne savons le faire. Les doigts pouvaient être remplacés par de petits cailloux (en latin calculi, origine du mot calcul). Mis dans certain ordre, ces cailloux pouvaient représenter de grands nombres.

b) Abaque et boulier (env 500 AV JC) :

Les premières aides au calcul et à la mémorisation des résultats apparaissent au Proche-Orient. De l’abaque, simple support pour des jetons, naîtra le boulier à tige, dispositif autonome et complet servant au calcul.

c) La logique grecque (330 AV JC) : 

Les premières règles de logique (syllogisme, techniques de réfutation des sophismes) sont définies par le philosophe grec Aristote. Mais la logique aristotélicienne, suffisante pour le raisonnement philosophique ou juridique, n’est pas assez puissante pour être applicable en mathématiques.

d) Algorithme grecque (env 330 AV JC) : 

Euclide a décrit une méthode pour calculer le plus grand diviseur commun de deux entiers dont on ne connaît pas les facteurs, en faisant explicitement référence à une itération. Il s’agit du plus vieil algorithme non-trivial connu qui soit encore utilisé de nos jours.

Un siècle plus tard, Ératosthène donne une méthode, le crible d’Ératosthène, pour trouver les nombres premiers inférieurs à un nombre donné en procédant par élimination des multiples. Implémenter cet algorithme est toujours un exercice classique dans les cours d’introduction à la programmation.

e) Mécanisme d’Antichère (87 AV JC) : 

Vers 87 avant JC, les Romains mirent au point un calculateur astronomique pouvant modéliser la course des astres grâce aux engrenages. Ce calculateur indiquait probablement la position de la lune, du soleil, de quelques planètes ainsi que les dates des éclipses. Il est considéré comme le premier calculateur analogique. Les fragments de ce calculateur ont été découverts en 1901 au large de l’île grecque d’Antichère. Des études ont été menées à l’aide d’un scanner à rayon X à partir de l’an 2000 ont pu confirmer les fonctionnalités de cet engin.

f) Al Kwarizmi et l’Algèbre (820) : 

Né en Ouzbékistan, le mathématicien musulman Al -Khwarizmi (c. 780-c. 850) explore dans ses ouvrages la résolution des équations polynomiales en explicitant les étapes nécessaires au calcul des racines : c’est le début de l’algèbre (de l’arabe al-jabr) et des premières tentatives de formalisation de l’algorithmique.

Le mot « algèbre » est dérivé du titre de son ouvrage rédigé vers 825, Kitāb al-mukhtaṣar fī ḥisāb al-jabr wa-l-muqābala (« Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison »). Le terme algorithme dérive de la forme latine de son nom, Algorithmi. Ses ouvrages auront une grande influence et contribueront à introduire en Occident la numération décimale de position.

2. L’horlogerie 

Sous l’empire romain, des mécaniciens grecs ont réalisé de grandes horloges hydrauliques en métal, capables d’indiquer la position des astres et des constellations. Cette tradition se poursuit au Proche-Orient après la conquête musulmane, et se développe parallèlement en Chine. Au Moyen Âge, un autre type de système hydraulique à engrenages devient courant : le moulin à eau, qui fournit l’énergie nécessaire à une véritable « révolution industrielle» et répand un savoir-faire nouveau.

Dans les deux cas, les mécanismes ne servent qu’à transmettre l’énergie, non à la produire. C’est en Europe, à la fin du XIIIe siècle, apparaissent les premières horloges entièrement mécaniques. Les innovations décisives sont : le remplacement de l’énergie hydraulique par un poids ou un ressort; l’échappement, dispositif qui freine la rotation de la roue centrale et l’oblige à accomplir un tour en 24 heures. Invention qui fonde l’horlogerie mécanique et lui permettra de remplacer progressivement les clepsydres et autres cadrans solaires.

Ces horloges monumentales ornent les clochers et les beffrois où leur fonction se borne initialement à sonner les heures. Rudimentaires, elles n’ont souvent ni cadran ni aiguille et se dérèglent vite.

Mais rapidement, comme dans toute l’histoire des inventions, des passionnés explorent les possibilités de la technique nouvelle et imaginent des dispositifs pour réaliser des fonctionnalités inédites: statues animées automatiquement pour frapper les cloches, multiplication des cadrans (et des mécanismes complexes) indiquant non seulement les heures, mais aussi les phases de la Lune, les mouvements des astres et d’autres phénomènes naturels, et permettant de prévoir les fêtes mobiles. Ce qui était déjà le but de la machine d’Anticythère. Avec l’invention du pendule par Christian Huygens en 1657, l’horloge deviendra un instrument précis pouvant indiquer les minutes, plus tard les secondes. Donc utilisable non seulement pour se donner rendez-vous, mais pour mesurer des phénomènes physiques, contribuant au progrès des sciences et des techniques.

Les horloges sont des mécanismes automatiques où pratiquement toute l’énergie est transformée en informations sur l’écoulement du temps et, dans le cas des horloges astronomiques, sur des phénomènes périodiques. Les mécaniciens du Moyen Âge ont inventé des automates produisant de l’information. Leurs successeurs des temps modernes construiront les premières « horloges à calcul »

3. Les machines mécaniques 

A partir de la Renaissance, deux profonds mouvements historiques déclenchent l’accroissement de la demande en matière de calcul et de traitement de l’information : la révolution scientifique et industrielle, ainsi que la formation des états modernes. Des inventeurs mobilisent à la fois les connaissances mathématiques existantes et les techniques développées depuis le Moyen Âge par les horlogers.

La mathématisation progressive des sciences, de la physique avec Galilée, puis des autres disciplines, fait des savants et des ingénieurs d’insatiables utilisateurs de calcul, que ce soit pour les applications civiles ou militaires.

a) Logarithmes et bâton de Neper (1614)

Après avoir inventé les logarithmes, l’Écossais John Neper (1550-1617) invente une aide au calcul sous forme de bâtonnets qui permettent de réduire une multiplication à une suite d’additions. Ces bâtonnets matérialisent des tables de multiplication portatives dont l’écriture facilite le calcul des retenues entre colonnes successives.

Jeu de bâtonnets de Neper de 1680
Jeu de bâtonnets de Neper de 1680

b). L’horloge calculatrice de Schickard (1632)

Wilhelm Shickard de Tubigen inventa en 1623 une machine à calculer destinée à aider son ami Johaness Kepler dans les calculs astronomiques. Cette machine avait malheureusement péri dans un incendie pendant la guerre de Trente avant même qu’elle ne parvienne à Kepler ; mais il a été retrouvé dans ses correspondances avec Kepler, les dessins et les explications sur le fonctionnement de cette machine, ce qui a permis sa reconstitution en 1960. Elle devait permettre d’additionner et de soustraire des nombres à six chiffres. Les multiplications étaient reportées en additions successives à l’aide de bâtonnets de Neper présents sur la machine.

dessins originaux de Schickard
dessins originaux de Schickard
Réplique moderne de l'horloge de Schickard
Réplique moderne de l’horloge de Schickard

d) La règle à calcul

Les logarithmes ont servi de base pour la règle à calcul, un autre instrument de calcul développé par le britannique William Oughtred (1574-1660), qui introduisit le symbole x pour la multiplication et sin et cos pour les fonctions sinus et cosinus. Ce petit instrument, portatif et facile à utiliser, sera perfectionné aux XIXe et XXe siècles, et restera le moyen matériel de calcul le plus couramment employé par les scientifiques, les ingénieurs et les étudiants jusqu’à l’apparition des premières calculettes électroniques vers 1970.

Une règle à calculer montrant la multiplication 1,3x2=2,6
Une règle à calculer montrant la multiplication 1,3×2=2,6

d) La Pascaline (1945)

Pour aider son père, un collecteur de taxes, Blaise Pascal (1623-1662) conçoit en 1642 l’idée d’une machine à calculer. Après trois années de travail, Pascal présente sa première réalisation opérationnelle, capable d’additionner et de soustraire des nombres sur six chiffres; des modèles non-décimaux, notamment en unités monétaires livres/ sous/ deniers, sont construits à leur tour.

La « Pascaline» est considérée comme la première machine à calculer ayant réellement fonctionné, la seule machine à calculer opérationnelle du XVIIè siècle et la première à être commercialisée (une vingtaine d’exemplaires), même si son prix élevé la rend peu accessible. C’est aussi la première à être «brevetée» (privilège royal de 1649) et la seule qui soit décrite dans LEncyclopédie de Diderot & d’Alembert (1751 ). Si elle a peu d’impact sur les pratiques du calcul, son existence même révèle dans tous les milieux cultivés d’Europe qu’une machine peut effectuer des tâches intellectuelles.

e) La multiplicatrice de Leibniz

Ayant pris connaissance des travaux de Pascal, le philosophe et mathématicien allemand Gottfried Leibniz (1646-1716) met difficilement au point en vingt ans la première machine permettant la multiplication et la division. Théoriquement capable de multiplier des nombres de huit chiffres, elle ne connut pas le succès en raison de défauts de conception l’empêchant de fonctionner correctement (principalement un problème de report de retenue). Elle apporta plusieurs innovations technologiques comme le chariot mobile et le tambour à dents inégales.

Une règle à calculer montrant la multiplication 1,3x2=2,6
Une règle à calculer montrant la multiplication 1,3×2=2,6

4. Des machines programmables

a) le métier à tisser de JACQUARD (1804)

Au XVIIIe siècle, le doublement de la population européenne induit une forte demande de textiles. Des techniciens du tissage inventent des machines pour augmenter la productivité. Et bientôt germe l’idée de les automatiser. Ces travaux d’automatisation furent réalisés tour à tour par Basile Bouchon (1725) et Jean-Baptiste Falcon (1728), l’automaticien Jacques Vaucanson (1740). S’inspirant de Vaucanson, Joseph-Marie Jacquard (1752-1834) construit en 1801 le premier métier à tisser automatique programmable à l’aide de cartes perforées. Ces dernières portent le « programme », c’est-à-dire la séquence d’enfilage des aiguilles correspondant aux différentes couleurs. C’est l’un des premiers exemples d’enregistrement d’une séquence d’opérations sur un support auxiliaire.

D’abord décriée par les canuts lyonnais qui craignent de perdre leur emploi et menacent de jeter Jacquard et sa machine dans le Rhône, l’invention est rapidement adoptée par les artisans et fait le succès et la fortune de Jacquard. À sa mort, son portrait sera tissé sur une de ses machines à l’aide de 24 000 cartes perforées.

Portrait de Jacquard sur l'une de ses machines.
Portrait de Jacquard sur l’une de ses machines.

b) La machine analytique ou le moulin à chiffre

Le mathématicien anglais Charles Babbage (1791 -1871) veut associer l’analyse mathématique avec les progrès du machinisme pour développer un calculateur dans un but pratique : éliminer les erreurs contenues dans les tables mathématiques (erreurs de calcul, de recopie ou d’impression).

En 1822 il présente à la Royal Astronomical Society les plans d’une machine aux différences finies, méthode mathématique pour ramener des progressions polynomiales à des progressions arithmétiques.

Ambitieuse et géniale construction, la machine à différences ne verra pas le jour. Babbage s’est en effet lancé dans le dessin d’une deuxième machine automatique à différences et se désintéresse de la première, dont la construction est arrêtée en 1842. Ce chantier est à son tour abandonné en 1849, car parallèlement Babbage met au point les plans d’une autre machine encore plus puissante, la machine analytique, qui est l’ancêtre direct des ordinateurs.

Ayant une mémoire, une unité arithmétique et logique et un lecteur de cartes perforées (idée empruntée aux métiers Jacquard), elle est générale au sens où elle est programmée par des instructions sur les cartes, qui peuvent aussi porter des constantes ou des variables.

Autoritaire et versatile, ses fréquents changements de plans finissent par décourager ses sponsors et par le brouiller avec le patron de l’atelier de mécanique. C’est la vraie cause de l’abandon de ses machines, qui étaient pourtant faisables en mobilisant les meilleures aptitudes technologiques et financières de l’époque.

Certain que l’avenir lui donnerait raison, le grand génie s’efforça de laisser le maximum de plans et dessins. Des versions réduites de la machine à différences seront réalisées par les Suédois Pehr et Edvard Scheutz vers 1850. Une version partielle sera construite par son fils Henry après 1880. Mieux encore, un siècle plus tard le Science Museum de Londres a entrepris d’étudier minutieusement la Difference Engine n°2 et de la réaliser en respectant scrupuleusement les contraintes techniques du temps de Babbage. Spectaculaire, cette machine hommage a été inaugurée en 1991 pour le bicentenaire du grand homme. Son fonctionnement démontre que le projet était viable.

Entre temps, le concept de calculateur programmable imaginé par Babbage aura inspiré une longue suite d’inventeurs que l’on rencontrera dans la suite de ce chapitre.

Machine analytique
Machine analytique

c) La tabulatrice de Hollerith (1890)

En 1880 pendant le recensement de la population des Etats Unis, Il a été déterminé que les données du recensement ne pouvaient être traitées que sept ans plus tard avec les méthodes d’alors. Un jeune ingénieur statisticien du nom d’Hermann Hollerith (1860-1929) développa une tabulatrice utilisant les cartes perforées. Avec cette machine, les résultats du recensement s’obtinrent en moins de deux ans.

Fort du succès de ses machines lors du recensement Américain, Hollerith crée la firme Tabulating Machine Corporation spécialisée dans les machines de traitement de l’information au moyen de cartes perforées, qui deviendra la société International Business Machine (IBM) en 1924.

Tabulatrice et trieuse d’Hermann Hollerith
Tabulatrice et trieuse d’Hermann Hollerith

5. La machine à écrire et les téléphones

a) La machine à écrire

L’imprimeur américain Christopher Latham Sholes (1819-1890) invente en 1867 la première machine à écrire pratique et utilisable. En 1873 il améliore le clavier en disposant les touches suivant la séquence QWERTY, afin de séparer au maximum les paires de lettres successives les plus classiques en anglais, évitant ainsi les blocages de la machine par appui trop rapproché de deux touches trop proches. Les habitudes des utilisateurs étant rapidement prises, tous les claviers postérieurs conserveront cet ordre avec des variantes linguistiques comme AZERTY. 

Un des premiers modèles de machines
Un des premiers modèles de machines

b) Le téléphone (1876)

En 1876, Alexander Graham Bell (1847-1922) dépose un brevet concernant la transmission de la voix à distance à l’aide de l’électricité; le téléphone est né. Les technologies et les concepts développés dans les télécommunications (commutation, quantification de l’information, etc.) seront à la base de la culture professionnelle des premiers concepteurs d’ordinateurs.

Combiné téléphonique Berthon Ader de 1897
Combiné téléphonique Berthon Ader de 1897

6. Les premiers ordinateurs

a) Calculateur ABC (1940)

John Atanasoff (1903-1995), professeur de physique à l’université d’lowa, construit un calculateur binaire avec l’aide d ‘un étudiant, Clifford Berry (1918-1963). Cette petite machine est à base de tubes électroniques et comprend des circuits logiques et une mémoire à base de condensateurs, mais n’est pas programmable et ne peut que résoudre des systèmes d’équations linéaires.

Même si la partie électronique chargée du calcul fonctionne, la machine ne sera jamais vraiment utilisable, des erreurs récurrentes se produisant dans le lecteur de cartes perforées. Atanasoff cessera d’ailleurs vite de s’occuper de calculateurs. Cependant, en 1973, lors d’un procès en paternité de brevets contre les fondateurs d’Univac, un juge américain déclarera qu’Atanasoff pouvait être considéré comme le père de l’ordinateur. Décision qui reflète sans doute l’ignorance du juge quant aux réalités de l’innovation, mais qui a l’avantage de mettre définitivement les brevets de l’ordinateur dans le domaine public.

Calculateur ABC
Calculateur ABC

b) Les calculateurs de Konrad Zuse (1940)

Jeune ingénieur allemand travaillant sur la résistance des structures, Konrad Zuse (1910-1995) imagine un calculateur binaire pour effectuer ses longs calculs répétitifs. Un premier modèle purement mécanique Zl, achevé en 1938, fonctionne juste assez mal pour le convaincre d’en concevoir un deuxième avec des relais de téléphone, le Z2, tandis que son ami Helmut Schreyer préférerait passer rapidement aux tubes électroniques. Tous deux ignorent les travaux comparables menés outre-Atlantique par Shannon, Stibitz et d’autres.

En 1941, Zuse met au point Z3 qui contient plus de 2 000 relais, pèse une tonne et consomme plus de 4 kW. Il comprend une mémoire, un dispositif de contrôle et une unité arithmétique calculant en binaire sur des nombres en virgule flottante! C’est donc, bien dans la lignée conceptuelle de Babbage, le premier grand calculateur numérique contrôlé par programme qui entre en service opérationnel.

La mémoire de travail contient 64 mots de 22 bits. Les relais ne permettant qu’une cadence lente, 5,3 Hertz, le Z3 effectue une addition en 0,8 seconde, une multiplication en 3 secondes; division et extraction de racine carrée prennent trois fois plus de temps, mais qu’importe : le Z3 ne se compare pas avec nos appareils actuels, mais avec ses contemporains dont aucun ne peut approcher ses performances.

L’appareil est détruit en 1943 lors d’un bombardement allié. La machine Z4, amélioration du Z3, est presque terminée en 1945 lorsque Zuse doit fuir l’avance alliée. Après déménagement et reprise du travail, elle sera acquise en 1950 par le Polytechnikum de Zurich, qui la cèdera en 1955 à un laboratoire militaire, l’Institut franco-allemand de Saint-Louis, en Alsace.

Zuse est l’un des premiers à avoir réalisé que les fonctions de contrôle pouvaient également s’exprimer et être stockées sous forme numérique, ouvrant la voie à la machine programmable. il a aussi été le premier à concevoir dès 1943 un langage algorithmique de programmation (incluant fonctions avec paramètres, itérations, structures de données, etc.), Plankalkül, dont il ne pourra malheureusement pas poursuivre le développement. Zuse fondera ensuite son entreprise, qui construira des séries d’ordinateurs jusqu’à son rachat par Siemens en 1967.

La Z4 de Konrad Zuse terminée en 1944, : sans doute la première machine« Turing-complete » de l’histoire

c) ENIGMA (1938-1943)

Conçue à l’origine pour sécuriser les communications bancaires, la machine Enigma est adoptée par les services allemands du Chiffre au début des années 1930, dans le cadre du réarmement conduit par Hitler. D’une technique classique et bien maîtrisée, qui permet d’ailleurs d’en produire des milliers d’exemplaires, cette machine est remarquable par son système de rotors et de tableau de connexions qui génère des trillions de combinaisons possibles.

d) Le Colossus (1943-1945)

Les systèmes mis au point contre Enigma s’avèrent impuissants à déchiffrer les messages beaucoup mieux protégés des états-majors, codés avec des téléscripteurs de la firme Lorenz. Un ingénieur des téléphones, Tommy Flowers (1905-1998), juge que seules des machines électroniques encore plus complexes pourraient relever le défi. Collaborant à Bletchley Park avec Max Newman (ancien professeur de logique de Turing) pour la partie mathématique, il conçoit en moins d’un an Colossus, mis en construction fin 1943. Contenant environ 2 000 tubes électroniques travaillant en binaire, Colossus reçoit les données par bandes de papier perforé à la vitesse de 5 000 caractères /seconde. La programmation des opérations logiques et de comptage se fait à l’aide de câbles et d’interrupteurs.

Colossus ayant pour but spécifique de déterminer la clé d’un chiffre, il ne nécessite pas des capacités plus complètes de programmation, contrairement aux futurs ordinateurs universels conçus pour résoudre tout type de problème. En termes rigoureux, Colossus est le premier processeur électronique, numérique et partiellement programmable de l‘histoire. Flowers, avec Schreyer et Atanasoff, est l’un des premiers hommes à avoir réalisé que l’électronique pouvait être utilisée pour le calcul numérique à grande vitesse – et le premier à avoir été au bout de l’idée. L’existence de ces dix machines restera secrète pendant 30 ans en raison du secret militaire britannique. Mais l’expérience acquise avec elles incitera plusieurs équipes anglaises à se lancer dans la construction des premiers ordinateurs. Entre temps, on a pu estimer que les percées effectuées à Bletchley Park ont donné aux armées alliées un avantage qui leur a permis de gagner la guerre deux ans plus tôt que si elles n’en avaient pas bénéficié.

e) Le calculateur Hardvard Mark I

Sur les plans de Howard Aiken (1900-1973), IBM et l’université de Harvard construisent pour la marine américaine le ASCC (Automatic Sequence Controlled Calculator) ou Harvard Mark 1, gigantesque calculateur décimal à relais (3 300 relais, plus de 750 000 pièces détachées … ). Il effectue une addition de deux nombres de 23 chiffres en 3/10 de seconde. Utilisé pour des recherches militaires à la fin de la guerre, c’est le plus gros calculateur électromécanique jamais assemblé. IBM s’en inspire en 1948 pour construire une grande machine partiellement électronique 250 fois plus rapide que le Mark 1, le SSEC (Selective Sequence Electronic Ca/culator, 1 2 000 tubes à vide et plus de 20 000 relais).

Ces deux machines de prestige permettent un apprentissage de techniques de programmation, qui seront mises à profit dans les ordinateurs qu’IBM commence à développer en 1950.

IBM SSEC (1948).
IBM SSEC (1948).

f) ENIAC (1945)

En 1942 John W. Mauchly (1907-1980) dirige à Philadelphie un centre de calcul qui élabore des tables de tir pour l’artillerie américaine. Il prévoit le moment où ce centre ne pourra plus faire face à la demande croissante de calculs. Ayant étudié le petit calculateur spécialisé ABC d’Atanasoff, il rédige pour l’armée un projet de gros calculateur électronique. Aux experts qui objectent que la fragilité d’un ensemble de milliers de tubes entraînerait des pannes trop fréquentes, il répond que la vitesse de calcul obtenue compensera largement ce défaut. il s’associe d’ailleurs avec un électronicien hors pair, Prosper Eckert ( 1919-1995), qui maîtrise bien les problèmes de fiabilité. Tous deux dirigent la construction de l’ENIAC (Electronic Numerical lntegrator And Computer) à la Moore School of Electrical Engineering de l’université de Pennsylvanie. Composé de 18 000 tubes (2 000 sont remplacés tous les mois au début puis 15 par mois en régime de croisière), l’ENIAC pèse 30 tonnes et mesure 24 mètres de long, 5 de haut, 4 de large. Une grande partie de cet encombrement vient de ce que ses circuits sont décimaux. Il n’a pas de programme interne: les opérations à effectuer sont entrées à la main en établissant des connexions et en positionnant des interrupteurs. Les données sont lues par cartes perforées. L’ENIAC n’a donc pas l’élégance des constructions intellectuelles de Babbage ou de Turing:

  • la machine est volontairement décimale;
  • il n’y a pas de distinction entre la fonction mémoire et la fonction calcul;
  • il n’y a pas vraiment d’unité centrale généraliste mais une juxtaposition d’accumulateurs et d’unités spécialisées;
  • la programmation se fait par câblage, avec des fiches et des connecteurs à brancher pour chaque nouveau traitement.

En dépit de ces limitations l’ENIAC tient ses promesses, effectuant 5 000 additions par seconde grâce aux tubes à vide beaucoup plus rapides que les relais. Terminé juste après la guerre, son premier calcul servira à étudier la faisabilité de la bombe H.

L’ENIAC constitue bien un calculateur d’usage général, comparable aux conceptions électromécaniques de Zuse ou électroniques des Colossus anglais. S’il n’est ni le premier calculateur électronique (l’ABC et les Colossus lui sont antérieurs), ni le premier calculateur programmable (le Z3 et le Mark I l’étaient avant lui), son importance est proportionnelle à l’envergure du projet et à son retentissement, à la publicité faite après guerre autour de lui. il permet également de démontrer la viabilité de l’électronique, et inspire à plusieurs chercheurs le désir d’aller plus loin.

g) Rapport de Von Neumann (1945)

Pendant la construction de l’ENIAC, un groupe de travail est mis en place pour réfléchir aux améliorations possibles et à la définition d’un nouveau projet, l’EDVAC (Electronic Discrete Variable Arithmetic Computer). Le mathématicien John von Neumann (1903-1957) participe à ces réunions. Tirant les enseignements de l’expérience ENIAC, notamment du goulet d’étranglement que constituent la programmation et le stockage des données externes pour une machine électronique, il réfléchit en termes de structure logique de la machine. Il reprend des idées déjà exprimées par Eckert et Mauchly, en les formalisant, et les rapproche du concept de machine universelle évoqué dans l’article d’Alan Turing de 1937, que von Neumann avait lu.

Le document qu’il rédige décrit une machine entièrement nouvelle par sa conception fondamentale. Les principaux organes correspondent à des fonctions clairement définies – processeur, mémoire, dispositif d’entrées/sorties ouvrant sur un concept absolument inédit: le programme enregistré. L’idée de stocker les données et les instructions sous forme d’impulsions électriques, à l’intérieur même de la machine qui pourra les consulter à l’instant et à la vitesse qui lui conviennent, définit d’un seul coup une structure logique adaptée à la nouvelle technologie électronique, là où des techniciens plus immergés dans les problèmes de détail auraient mis des années à élaborer la solution. La notion de programme enregistré rompt radicalement avec la lignée des calculateurs à programme externe tels les Z3, Mark I ou ENIAC. Cette architecture, appelée depuis « architecture de von Neumann », caractérise ce que nous appelons l‘ordinateur.

Intitulé First Draftofa report on the EDVAC, ce rapport largement diffusé va inspirer le développement des premiers projets d’ordinateurs dans le monde entier. Von Neumann participera personnellement à la conception de plusieurs ordinateurs dont celui de l’IAS, (lnstitutefor Advanced Studies) à Princeton, qui sera largement copié.

L’histoire a attribué la paternité de l’ordinateur à von Neumann car il est le seul auteur du rapport, document de travail interne qui n’était pas initialement destiné à être diffusé. Eckert et Mauchly ont peu apprécié ce qu’ils considéraient comme une captation de leurs réflexions. Mais le génie de von Neumann, sa position socio-professionnelle prestigieuse, son talent pédagogique et son aptitude exceptionnelle à faire passer des idées neuves dans les cercles dirigeants, ont été décisifs dans la diffusion rapide d’une des plus grandes innovations de rupture de l’histoire.

L’EDVAC fut achevé en 1949 à la Moore School of Electrical Engineering de l’université de Pennsylvanie. La machine mettait en oeuvre 6000 tubes à vide et 12000 diodes. Elle pesait 7800 kilos et occupait 45,5 m2. Son fonctionnement nécessitait 56kW. Elle était beaucoup plus légère que l’ENIAC, s’il s’avère néanmoins possible de s’exprimer ainsi compte tenu de ces chiffres. Elle améliorait également les performances de temps de son prédécesseur : il lui fallait 864 microsecondes pour effectuer une addition et 2 900 microsecondes pour effectuer une multiplication.

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